L’enfant des glaces : une fiction psychologique entre Histoire et surnaturel

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L’enfant des glaces de Guido Sgardoli (Bayard, 2016)

Lors d’un passage à la bibliothèque, j’avais emporté ce livre tout à fait par hasard.
Oui, il m’arrive d’emprunter au pif, c’est sympa de se laisser guider par son instinct sans chercher trop loin. Bon, parfois on est très déçus, mais d’autres fois on fait de belles découvertes ! Et L’enfant des glaces en est véritablement une (je commence d’ailleurs à me dire que les emprunts hasardeux fonctionnent très bien avec moi).

Je l’ai lu le temps d’un weekend de février, je n’ai fait que ça de tout mon dimanche. Ce qui signifie, vous l’aurez compris, que je me suis retrouvée pour le moins happée par le récit, premier bon point pour le livre !

Une problématique difficile qui sort du lot :

> J’aimerais tout d’abord parler de la particularité de cette histoire, car elle diffère quelque peu du genre de romans LJ que j’ai pu lire dernièrement, par la problématique mature et profonde qu’elle traite et qui ne fait pas nécessairement écho aux préoccupations des jeunes lecteurs (et pourtant, des sujets graves, il y en a beaucoup en LJ, mais ici c’est encore différent).

Je m’explique. Le principal protagoniste, Robert Warren, chercheur dans une station météorologique au Groenland, est un homme d’un certain âge, rongé par le chagrin et l’amertume, qui ne pense qu’à une chose, il faut bien le dire clairement : se suicider. Fort joyeux, n’est-ce pas ?
Et tout l’enjeu de l’événement qui vient perturber cette situation initiale, c’est l’apparition de ce jeune garçon miraculé, prisonnier des glaces depuis plus d’un siècle, qui agit comme une seconde chance gracieusement offerte par le destin à cet homme dépossédé de tout.

Donc, contrairement à la plupart des livres LJ pour cette tranche d’âge (le livre est indiqué « à partir de 12 ans »), le lecteur se retrouve face au parcours moral d’un personnage qui a au moins quatre fois son âge ; autant dire que l’illusion référentielle n’est pas prête de fonctionner.
En cela, je pense que ce n’est pas un livre évident à prescrire ni à défendre. Les lecteurs de 12 ans seront sans doute bien plus attirés par des livres mettant en scène un héros de leur âge, tandis qu’un lecteur plus âgé comme moi trouvera peut-être davantage d’intérêt à observer l’évolution psychique de cet homme.
Peut-être aurait-il été plus efficace de le classer dans une tranche d’âge supérieure ? Je n’en sais rien, toujours est-il que je m’interroge sur la réception de cette histoire par les jeunes lecteurs… Selon moi, ce livre pourrait presque faire partie de la littérature générale.

Quoi qu’il en soit, j’ai été très étonnée par le contenu de ce texte qui s’est révélé bien plus intense que je n’aurais pu le croire.

Un texte psychologique où règne l’émotion :

> L’intensité induit l’émotion (en général), et c’est indéniablement un point fort de ce livre.
Le personnage torturé de Bob Warren, surtout, frappe par son caractère singulier d’homme à l’apparence de vieux bourru résistant mais malgré tout en équilibre instable car anéanti par un drame familial (la mort de son fils).
Au fil de l’histoire, on le voit s’éclairer (c’est littéralement toute la métaphore du livre d’ailleurs : l’enfant est la lumière qui vient peu à peu éclairer et chasser les sombres pensées de Bob) et se comporter comme il aurait toujours voulu le faire, avec affection et tendresse envers un enfant qui aurait pu être le sien.
Leur relation est très bien décrite et extrêmement touchante, à tel point qu’on perçoit de manière très précise combien ils ont besoin l’un de l’autre, et l’importance (et la symbolique) de leur rencontre.

Un contexte historique particulier :

> Un troisième point qui m’a plu dans ce livre, c’est le contexte historique. Je sais que je radote, mais je suis particulièrement amoureuse des romans présentant un aspect historique, qu’il soit global ou partiel.
Et il se trouve que cet enfant est rescapé d’un naufrage qui a eu lieu au siècle précédent l’époque où se déroule l’histoire. Vous saisissez toute la tension que cela crée entre les deux personnages ? Pas de la même époque, pas du même monde, mais inexplicablement et indiscutablement reliés l’un à l’autre par le vide que la présence de chacun comble.

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Statue érigée en Irlande en 1999 à la mémoire des morts de la Grande Famine (1845 – 1849)

J’en profite pour préciser que ce naufrage est survenu pendant une période bien particulière : la Grande Famine qui a affecté l’Irlande au milieu du XIXe siècle (An Gorta Mór en irlandais), et causé de nombreuses tentatives d’émigration vers l’Amérique.
Je rebondis sur un autre livre (oui, j’aime les digressions) car il s’agit précisément du contexte initial de L’Anneau de Claddagh de Béatrice Nicodème, un de mes coups de cœur de l’année 2016.

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L’Anneau de Claddagh, tome 1 Seamróg de Béatrice Nicodème (Gulfstream, 2015)

Just so you know : je suis une fervente admiratrice du gaélique écossais et irlandais, ainsi que de la musique celtique (c’est sans doute dû à mes lointaines origines nordiques), ce qui fait que je suis pathétiquement faible face à un livre qui présente en quatrième de couverture les mots « gaélique », « Irlande », « Écosse » ou encore « celtique ».

Toujours est-il que je ne m’attendais absolument pas à voir parler de l’Irlande et encore moins de voir apparaître dans le récit des mots en gaélique ! C’est la preuve que je n’avais même pas lu la quatrième de couverture, car elle mentionne pourtant la présence d’un voyage en Irlande > < (au pif, j’vous dis !).

En bref, j’étais au comble du bonheur d’apprendre que le jeune garçon (qui s’appelle Jim, en plus !) était originaire d’Irlande, et de rencontrer au fil des pages des mots et des phrases en gaélique.

C’était assez drôle de voir les personnages confrontés aux mêmes problèmes que ceux que j’ai rencontrés et rencontre encore lorsque je tente d’apprendre cette langue :

« Le gaélique est une langue qui s’écrit d’une façon et se lit de l’autre. » (p.181)

Tout est dit !

Pour revenir à ce que je disais précédemment, j’ai donc toujours aimé les romans historiques, sans doute parce que le passé me fascine en un sens, mais aussi parce que c’est le meilleur moyen d’apprendre des tas de choses sur notre monde.
Par exemple, dans le cas de ce livre, j’ai appris de nouveaux mots en gaélique, quelques notions scientifiques (puisqu’on parle ici de vieillissement cellulaire), et d’autres sur l’histoire de l’Irlande, et c’est le moyen le plus direct pour donner envie aux lecteurs de voyager !

Si je n’ai soulevé presque que des bons points pour vous présenter cette belle découverte livresque, c’est que j’avoue ne pas avoir grand chose à redire au texte, si ce n’est les larmes qu’il m’a fait verser.
Car il s’agit bel et bien d’une histoire triste, très émouvante, mais qui distille de l’espoir malgré tout, et qui a rempli mon cœur d’amour et de mélancolie. C’est le genre de livres qui vous laisse tout groggy, abandonné à vos sentiments, perdu entre ciel et terre, ne sachant comment rebondir ni quoi lire après tout ça.

Je me suis rendue sur Babelio pour jeter un œil aux critiques émises par les quelques lecteurs qui ont noté L’enfant des glaces. On lui reproche le plus souvent son manque de « vitalité » et d’action. Pour moi, ce texte n’est rien d’autre qu’une histoire amplement mélancolique, qui tisse le fil d’un amour entre deux personnages que tout oppose mais qui étaient voués à se rencontrer et à se sauver mutuellement. Parlons de destin, ou même de magie. La visée est clairement psychologique, à mon sens. Je ne pense pas qu’il faille chercher plus loin. C’est le récit d’une rencontre presque irréelle et qui bouleverse une vie.

En tout cas, j’ai profondément aimé ma lecture de L’enfant des glaces, même si ce texte m’a beaucoup remuée. Il pose cependant un problème de réception, et cela a d’ailleurs été soulevé par un membre de Babelio (mon impression est donc justifiée).

Si vous ne l’avez pas lu, et que le thème vous intéresse, je vous encourage à lui donner sa chance 🙂


8 réflexions sur “L’enfant des glaces : une fiction psychologique entre Histoire et surnaturel

  1. Quelle belle chronique, ça fait envie ! Alors que je ne connaissais pas du tout 🙂
    Moi aussi je suis attirée par l’Irlande et l’Ecosse, mais comme j’y connais rien je crois que c’est surtout la représentation que j’en ai qui m’attire -ou qui attire mon côté mystique x) C’est la même chose pour la Bretagne, et c’est exactement ce que j’ai retrouvé dans U4 .Koridwen (par Yves Grevet ♥)
    Bref je digresse et je suis pas sûre de m’être exprimée clairement ^^

    Je me souviens de L’anneau de Claddagh, il me faisait super envie, j’avais lu d’excellentes critiques 🙂

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    1. Ooh ça fait un joli point commun ça 😀
      Je pense qu’on a tous une image spécifique des endroits qu’on ne connait pas x) J’aimerais tellement y aller ! En attendant, je m’entraîner à apprendre quelques mots de gaélique écossais (je devrais plutôt apprendre l’irlandais d’ailleurs, étant donné que c’est de là-bas que viennent mes racines nordiques, mais c’est encore plus compliqué que l’écossais je trouve, comme si c’était possible xD).
      Haha je comprends, j’ai beaucoup aimé Koridwen, sans doute pour cette raison 🙂
      En tout cas, si tu aimes ces pays, et tout le côté celtique, je ne peux que te conseiller L’Anneau de Claddagh ! Bon, toute l’histoire ne se passe pas en Écosse puisque le contexte initial induit l’immigration, mais c’est ce qui me plaît beaucoup aussi !

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  2. coucou !

    je voulais te dire qu’il m’est impossible de mettre un commentaire sur ton dernier article, c’est normal ? 😮
    En tout cas les livres de John Boyn me tentent beaucoup, j’avais adoré Le garçon en pyjama rayé !

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    1. Coucou! Merci de m’avoir prévenue, en effet j’ai rectifié ça 🙂
      J’ai vu l’adaptation du Garçon en pyjama rayé qui est passée la semaine dernière à la télévision… J’étais effondrée devant cette histoire si triste ! (Je suppose que c’est la meme que dans le livre ?)

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      1. J’étais effarée, je suis restée au moins cinq minutes immobile, de stupeur, en comprenant ce qu’il venait de se passer. Je n’en reviens toujours pas de cette fin si atroce. Je me demande comment c’est dit dans le film, car dans le film c’est à la fois super violent sans que rien ne soit montrer. Tout est suggéré. Enfin bref, il faudra que je lise le livre pour comparer les deux, mais je ne le ferai pas de sitôt parce que c’est trop déprimant > <

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