La collection D’une seule voix (Actes Sud Junior) pour laquelle j’avais eu un coup de cœur l’année dernière, s’agrandit d’un nouveau titre le 3 avril prochain, n’est-ce pas merveilleux ? Et il faudra sans conteste piquer un sprint dans la librairie la plus proche pour le découvrir. Sans conteste, vous dis-je.
Dans Rattrapage, Vincent Mondiot délivre l’introspection d’une jeune fille qui n’a jamais connu que la popularité au sein du monde fermé et cruel du lycée. Lorsqu’elle revoit, le jour du rattrapage du bac, un garçon qu’elle a harcelé sur internet pendant des mois avec son groupe d’amis-es, le flot des souvenirs reflue et elle prend conscience de la culpabilité qui la ronge.
Loin de tout sentimentalisme, les émotions exprimées sont brutes, elles éraflent et ébranlent, quand bien même nous recueillons les confidences du personnage harceleur. On pourrait s’en offusquer : « après tout, elle n’a eu que ce qu’elle méritait, et ce n’est pas grand chose comparé à ce que lui a souffert ! »
Mais ça ne vient même pas à l’idée. Accompagnant attentif des allers-retours de la pensée du personnage, nous sommes là pour entendre, pour tenter de comprendre.
Plongée immédiate dans cette voix adolescente d’une justesse désarmante.
Regards en soi, sévères, moqueurs, désabusés, autant de tableaux que l’auteur prend plaisir à nommer et désigner, qui transforment la lecture en une galerie d’art contemporain entre les murs de laquelle on déambule, menés par la puissance et la force des pensées de l’adolescente.
Confrontation émotionnelle de deux êtres, qui partagent un passé commun, sillonné de souvenirs bons et mauvais, et de ces souvenirs dont on ne sait pas quoi faire. Ils ne sont pas encombrants, mais ils sont là, sans trop se dévoiler, mais ils ont bien un sens. Et toute sa vie, peut-être, on le cherchera.
La voix de l’héroïne est emplie de ces souvenirs-là, et en même temps qu’elle le lecteur prend peu à peu le pouls de la situation, et de la signification de ses actes.
Sur le chemin du pardon, de l’acceptation, elle se dirige, un peu chancelante, mais finalement résolue, et ce n’est pas grave si on échoue au bac tant qu’on a réussi à déterrer un peu de compassion et de dignité, elles qu’on pensait avoir oubliées.
Ce monologue intérieur vibrant s’élève en un tourbillon de pensées, de doutes, de tentatives, puis aboutit à un dénouement douloureux mais sain, entrouvrant la porte à la lumière.
Outre la pertinence de son écriture, l’autre atout de ce texte est d’évoquer en filigrane, à travers l’histoire personnelle de l’héroïne, des sujets sensibles relatifs au monde lycéen qui ne peuvent que renvoyer à nos propres expériences (et c’est exactement mon cas) :
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Le phénomène de « castes », selon les mots de l’héroïne
Il s’agit là d’une caractéristique sur laquelle on s’accordera, je crois, toutes et tous.
Une spécificité que j’ai perçue d’ailleurs dès le collège, cette loi de la chaîne alimentaire entre jeunes du même âge, censés se serrer les coudes face à l’enseignement et à la construction de son propre futur…
Une hiérarchie s’installe inévitablement, qui creuse d’emblée des fossés qui sont toujours les mêmes, entre personnalités dites « populaires » et les autres, vaste troupe vaillante faisait front, elle-même divisée en de multiples catégories.
Si ce fonctionnement peut virer au cauchemar pour certains (à l’image de ceux qui se font harceler comme l’adolescent du roman), je n’en ai personnellement jamais directement souffert, mais je me suis toujours tracassée de la cruauté non apparente de ce monde collégien et lycéen, qui l’est ma foi bien plus que le véritable monde du dehors, j’entends le monde des (jeunes) adultes.
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Nostalgie de l’enfance et de l’adolescence
Aussi paradoxal que cela puisse paraître étant donné ce que je viens de dire juste avant, si l’on peut aisément être soulagé de quitter enfin le monde du lycée, la fin de cette période signe malgré tout la fin de l’enfance (incluons donc l’adolescence dans cette merveilleuse enfance que l’on nous a fait quitter de force !).
De mon côté, cela ne s’est pas fait sans douleur, car j’ai bien évidemment assisté au disloquage de ma bande d’amis.
Je le sais bien, je le sens au fond, que je ne les reverrai plus jamais, (…) parce que « la bande », elle est morte avec la fin du lycée.
Encore aujourd’hui, j’ai le cœur qui se serre en repensant à toutes ces chouettes personnes que j’ai côtoyées et qui ont chacune pris un chemin différent, sans même aujourd’hui tenter de se revoir. Même moi qui me lamente sans cesse sur l’impermanence des relations sociales, je n’ai pas encore fait le premier pas pour tenter d’organiser les retrouvailles de cette fameuse bande d’amis…
Il y a comme une entente mutuelle, un contrat absurde signé qui prévoit que chacun s’en ira de son côté, sans s’insurger, sans faire de promesses, et tout est OK.
Mais rien n’est OK. Une bulle éclate à la fin de cette période-là, et il faudrait laisser tous ces souvenirs s’éparpiller au vent, se résigner à en attraper quelques-uns au vol pour pouvoir profiter de les observer dans dix ans, et se dire « ah, qu’est-ce qu’on était bien tous ensemble, à discuter au soleil, à imaginer le monde de demain, être simplement ensemble » ?
(Non, non, ne vous en faites pas pour moi, je suis juste triste mais tout va bien aller.)
Rattrapage m’a simplement ramenée vers ce passé lumineux et théâtral, regretté un peu, tout de même. Mais les souvenirs sont aussi attachants, et on aime à s’y replonger.
Et puis, avant de mettre un point final à cette chronique déjà bien trop longue, je voulais adresser quelques mots à l’héroïne :
La vie ne ressemble jamais aux films. Tout y est sale et douloureux et sans aucune importance ni aucun sens.
Personnage de papier, j’aimerais te répondre que la vie est douloureuse, oui, que l’on s’égare trop souvent sur les mauvais sentiers, à s’en égratigner les pieds, mais que nous sommes seuls à pouvoir écrire demain, que c’est sans doute la seule consolation, car même si le film aura toujours l’air d’avoir plus de sens et d’importance, il ne s’agit finalement pas de débusquer quelque part le sens de cette vie réelle, plutôt de l’accepter telle qu’elle, avec ses défis, ses obstacles.
Ce théâtre où rien n’est vraiment joué d’avance.
Cette scène où l’on peut rattraper ses erreurs, il suffit de le vouloir.
Et rattraper le temps perdu à chercher ce bout de sens qu’on ne trouvera jamais.
Tout est bien. Et les chemins sont là, pour nous y avancer.
Je me sentais un peu poète aujourd’hui, que voulez-vous ! Il faut croire que cette vision du lycée que donne Vincent Mondiot a pleinement résonné dans ma tête remplie de ces souvenirs d’enfance, de collège, de lycée, ces souvenirs de certaines erreurs aussi, qu’on aimerait rattraper. Et comme on ne peut pas encore réécrire le passé, on tente de se construire un présent digne et louable. Pour mieux être fier-ère de soi demain.
Titre du tableau* : bravo, introspection lycéenne réussie.
Merci à Vincent Mondiot d’avoir su dépeindre avec tant d’acuité le monde lycéen,
et merci à Actes Sud Junior pour ce bel envoi !
*pour piquer à l’auteur sa riche idée
Et vos tableaux-souvenirs de lycée, ils sont comment ?
Une réflexion sur “Rattrapage de Vincent Mondiot : tableaux lycéens introspectifs”